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Le petit étudiant infirmier
26 septembre 2011

Adieu, jeune homme.

Il est mort. Je ne l'ai pas vu mourir, mais j'ai tendance à me dire que au moment où nous l'avons récupéré après sa chute, il était déjà parti. Bien entendu, ce n'est pas un avis médical, je n'ai pas à le déclarer mort, ce n'est pas mon boulot. C'est juste un avis anonyme, plus ou moins, de quelqu'un qui l'a vu dans ce qui furent, encore plus ou moins, ses derniers instants. Avec une perf' de voluven, et une dose de noradré', il avait 7 de tension à peine, deux litres et demi de sang par terre, et sans doute encore un bon litre répartie entre le brancard, le drap stérile, et ma tenue. Ça tâche. Au sens littéral du terme et sans mauvais jeu de mot. Je n'ai de toute façon pas réellement envie de plaisanter avec ça aujourd'hui. Je me rappelle cette tâche au sol, épaisse et large, s'épanchant autour de lui. Dans cinq ans, dans dix ans, j'y repenserais, et je pense que je reverrais encore son visage, le nez brisé après la chute, une chute entre dix et quinze bon mètres, interrompu après treize par un montant en métal, puis finalement arrêté par le sol en béton deux mètres plus bas.


Je n'ai vu que son visage, jamais l'arrière de son crane. C'est sans doute préférable, il y avait des choses qui n'étaient pas du sang sur le sol. Et sur moi aussi, de toute manière. C'était un inconnu, une victime des circonstances, comme tant d'autre. Je ne connais pas son nom, je ne connais pas sa vie, je ne connais rien de lui si ce n'est son âge. Il avait un an de plus que moi. Juste un an. Il lui restait une vie entière à vivre, ç'aurait pu être n'importe qui d'autre. Mais non. Ça a été lui. Je n'ai pas stocké ses traits dans ma mémoire, mais je revois parfaitement le médecin, ou était-ce l'infirmier, scotcher avec un morceau de sparadrap quelque chose au dessus de l'arrête de son nez. Je ne me rappelle pas quoi. Un tuyau peut être ? Je ne sais plus. Il n'y avait peut être rien. Je revois juste ce petit morceau de sparadrap qui lui prenait tout le visage. Et c'est ce qui m'a le plus marqué, sans raison aucune, sans explication. Ce petit morceau de sparadrap collé sur le visage. Un visage couvert de sang aux traits méconnaissable. Des bâches bleus nous isolant du public, des tuyaux de perf' un peu partout, un lifepack dans un coin, la sonde d'intubation dépassant de sa bouche, l'aspirateur rempli de sang... Et ce morceau de sparadrap.


Mes équipiers étaient ailleurs, plus ou moins en train de courir partout pour tenter de faire notre maximum, ou de s'occuper des témoins, car il faut bien penser à eux aussi. Mais moi, je tenais les flacons de perf' bien au dessus de lui pour faciliter leurs écoulements. Alors je l'ai vu, peut être plus qu'eux, je ne sais pas. De toute manière, que ce que ça change ? Ce n'était pas la place la plus facile, mais de toute manière, il n'y en avait aucune de simple à tenir dans ce lieu, aucune. Et au final, il est mort. Ça fait bizarre de se dire ça, cela fait longtemps que j'ai perdu ce syndrome du héros qui veut qu'on cherche à sauver tout le monde, que l'on se croit plus fort que la mort. Mais malgré tout, cela me fait bizarre de perdre ainsi une personne. Peut être est-ce du au fait qu'il était encore jeune après tout, relativement. Ou bien est-ce le fait qu'il laisse derrière lui ses amis, sa famille, sa petite amie, que j'aurais eu au bout du fil pendant un instant, en attendant de pouvoir lui passer le médecin... Je ne sais pas. Ça fait juste bizarre. Mais ça passera, c'est comme tout.


Et puis il fallait que j'écrive, pas vraiment pour lui, non... Mais pour moi. C'est mon moyen à moi de lui rendre un hommage muet mais sincère. Je ne te connaissais pas jeune homme, mais je ne t'oublierais pas non plus, tu resteras sans doute dans ma mémoire un long moment. Et le jour ou ma mémoire se perdra, c'est ce billet, un peu vide de sens sans doute, qui perpétuera ton souvenir. Un souvenir imparfait, car je suis le seul à savoir où tu étais quand tout cela est arrivé. Vous qui me lisez, vous ne connaitrez de lui que ce que j'ai pu dire ici. C'est à dire que à part sa tension, vous n'aurez rien si ce n'est mes impressions. Mais quelque part, cette victime anonyme vous marquera peut être plus que quelqu'un que vous auriez connus. Je ne sais pas, je ne suis pas à votre place. Mais c'est sans doute un peu le but recherché, je pense. Je ne sais pas. Vraiment. J'ai écrit ceci parce que je sentais que je devais le faire, je n'ai réfléchi aucun de mes mots, j'ai juste mis bout à bout ce que je pensais, et les résultats de mes divagations sur le sujet. Un souvenir pour un mot, ou un mot pour un souvenir. Une image. Et ce petit morceau de sparadrap sur son visage, à jamais.


Adieu, jeune homme.

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